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30 mars 2006 4 30 /03 /mars /2006 21:33

Georges Paugam fût le premier conseiller artistique de Bleuniadur. Dans ce texte de 1978, qu'il a légué au groupe, il présente un regard sur la danse bretonne, regard très en avance à l'époque. C'est un texte fondateur dans la démarche artistique de Bleuniadur.

 

            Il est difficile et prétentieux de vouloir dresser en quelques lignes une petite histoire de la danse bretonne : les rares documents en possession du folkloriste ne lui permettent qu’une esquisse prudente de sa genèse. L’absence quasi-totale de documents pendant des siècles lui interdit d’en suivre l’évolution. Les enquêtes et les recherches effectuées à ce jour révèlent d’énormes lacunes qu’un travail trop tardif, hélas ne comblera jamais.

 

            La danse bretonne, telle que nous la voyons aujourd’hui est le fruit de l’évolution d’un fonds ancien, modelé, transformé au cours des siècles, parfois à la suite d’influences extérieures. La danse bretonne, c’est aussi l’adoption de types étrangers, remplaçant une tradition défunte, mais refaçonnée selon le génie propre à un terroir.

 

            En ce qui concerne le fonds ancien, les auteurs français des XVe et XVIe siècles, en plus des tors et des caroles, nous accordent le trihori et le passepied. La description de ce trihori autorise son rapprochement avec certaines de nos danses actuelles… Aussi verrions-nous en lui l’ancêtre – ô combien transformé - des nombreuses danses que le folkloriste range dans la famille des « gavottes » (nom impropre d’ailleurs), à la lumière des formules d’appuis. Ainsi donc la dañs-tro fisel, kost er c’hoat, gavotte de l’aven, gavotte des montagnes, dañs pourlet, laridés pontiviens, gavottes du pied droit, etc., peuvent s’enorgueillir d’une ascendance on ne peut plus bretonne. Cette grande famille occupe approximativement le territoire de l’ancien évêché de Cornouaille, avec une large enclave en pays vannetais comprenant les pays de Pontivy et de Guéméné sur Scorff.

 

             Mais devons nous voir dans le vigoureux pach’pi des montagnes, ou le plat bal paludier, la survivance des brillants passepieds bretons tant admirés à la cour de France ? Disons oui… prudemment. Ces mêmes auteurs décrivent également de nombreux branles, dont deux doivent retenir l’attention du folkloriste : le branle double et le branle simple. En effet, leurs composants et leur rapport de nom semblent ne laisser aucun doute sur l’origine d’en dro et d’hanterdro. C’est ici encore une grande famille dont la descendance se retrouve dans la ronde de Baud-Locminé comme dans le Kas-abarh en cortège à l’ouest du pays Vannetais, dans le rond ou le tour du pays vannetais gallo comme dans le pilé menu dont le territoire est situé de part et d’autre du cours inférieur de l’Oust. « Mutation » de l’hanter dro, causée par les influences musicales des terroirs voisins, tel nous apparaît le laridé à six temps qui a recouvert tout le territoire d’en dro. Mais depuis un peu plus d’un siècle (1870), l’apparition d’un nouveau « mutant », le laridé à huit temps, a coupé en deux son territoire par une large zone de diffusion du nord au sud.

 

             Et si les laridés à six temps actuels de l’est à l’ouest relèvent d’un même type sans différences notables, on retrouve aujourd’hui deux variantes de laridés à huit temps, dont les types fondamentaux se retrouvent dans les danses connues des cercles celtiques sous les nom de « laridé de la côte » et de « laridé de Josselin ».

 

              Un autre branle, dont l’origine est mal définie, a tenu une place importante dans l’élaboration du répertoire breton. Dans l’ignorance de ce qu’a pu être son aire extension, nous le retrouvons dans un territoire correspondant à peu près au département des Côtes du Nord. Ce curieux branle à quatre temps se reconnaît de part et d’autre de la frontière linguistique : coté gallo, c’est le rond du pays de l’Oust et du Lié, dont la variante de Loudéac a été popularisée par les cercles celtiques, cotés bretonnant c’est le pays Fañch, avec la célèbre dañs-tro plin. Il est d’ailleurs intéressant de constater l’inversion des formules d’appuis entre ces deux danses. Puis, plus au nord de ce terroir acquis à la ronde, nous trouvons les derniers souvenirs du branle dans la Dañs Treger, aujourd’hui disparue (1978) et qui, de Guingamp à Morlaix se dansait sur deux fronts. Mais la forme sur deux fronts n’est pas morte, puisqu’on la retrouve au-delà de Morlaix jusqu’à Landerneau, dans un petit terroir limité au sud par les Monts D’Arrée, et au Nord par la RN 12 : c’est ici le domaine d’une danse qui procède à la fois de la Dañs Treger et de la gavotte du pied droit, c’est le pays de la Dañs a-benn, ou dans a-dall, ou piler-lann selon le folkloriste de service.

 

              Nous retrouvons encore des survivances de branles anciens, en Haute Bretagne : ainsi ce rond de Loire-Vilaine dont les variantes les plus connues sont le rond Paludier, le rond Mitau, le rond de Saint Vincent, etc. Autre trace d’un branle retrouvé en Basse Loire, le rond dit de Sautron. C’est ici à peu près tout ce qui peut se réclamer du fonds ancien.

 

              En ce qui concerne le fonds moderne, il est évident que les pays de Nantes et de Rennes, plus exposés à la pénétration française, plus influencés par les bouleversements économiques qui ont marqués le XIXe siècle, on vu s’étioler les traditions paysannes, jusqu’à parfois leur disparition. Et la mode des contredanses et des quadrilles, ainsi que la vogue des danses par couple telles que polkas, valses, mazurkas, ont envahi villes et gros bourgs. Si des provinces française se sont ouvertes « à la mode » dès la fin du XVIIIe ou au début du XIXe siècle, il faut attendre la deuxième moitié du XIXe siècle pour voir son apparition en Bretagne.

 

              Prenant la place d’une tradition défaillante, contredanses, quadrilles, polkas ont été adoptés en milieu rural. Habillés parfois d’un reste de tradition, ces danses ont subit un début de folklorisation, et son devenues celles qui nous sont habituellement présentées sous le nom de danses de Haute Bretagne. On peut distinguer quelques familles principales de ces nouvelles acquisitions issues de la « mode », et les « en avant deux » en forme sans conteste la plus importante, à tel point que l’avant deux peut passer pour  la danse fondamentale en Haute Bretagne :

a)      les avant-deux du pays nantais, du pays de la Mée et du pays de Redon caractérisés par des pas « typés » mais aux évolutions simples, et dont deux ont été particulièrement diffusés : l’avant-deux de travers, dit des Touches, et l’avant-deux de Châteaubriant.

b)      Les en-avant-deux des pays de Rance et de Rennes, qui sont pour la plupart marchés, mais dont les figures sont plus riches.

c)      Autres figures de quadrilles éclatés, devenues danses isolées, citons la pastourelle, le sacristain…

d)      Les dérives de la Polka sont également très nombreux : citons donc la famille des « aéroplanes » avec le trop galvaudé bal de Jugon, le bal d’Erquy, le bal de Dinan…et la Guibra.

e)      Puis citons au hasard quelques nom : Chibreli, violette, trompeuse…

 

            Qu’un fanatique de la séparation de la Bretagne en Haute et Basse n’y voit pas là un argument de plus pour justifier une Bretagne à deux facettes… Il n’y a pas de danses de Haute Bretagne ni de danses de Basses Bretagne : il y a d’abord les danses du fond ancien, qu’on retrouve de part et d’autre de la frontière linguistique : puis il y a les danses dérivées de la mode, que l’on retrouve également des deux cotés de cette frontière. Et si la Haute Bretagne a été largement ouverte à la mode des « salons », il est bon de savoir que la Basse Bretagne à subi, à un degré moindre, il est vrai, l’influence de cette mode : ainsi les bals à quatre de Cornouaille ne sont, dans leur partie « figure », que les « chaînes des dames » et les « chaînes anglaises » des salons parisiens. Dérobées, Montfarines, jabadaos sont également des apports de la « mode ».

 

               En ce qui concerne les autres sources, nous parlerons seulement de « la ronde aux trois pas » qui ne doit rien, ni aux branles anciens, ni à la mode des salons, mais qui doit tout à la mer. Danse de la marine, ayant essaimé ça et là sur nos côtes, elle a trouvé son terrain de prédilection sur les côtes du Pays Pagan où elle est devenue la rude, mais combien envoûtante dañs round.

 

               J’arrête ici cette genèse de la danse bretonne, en y reconnaissant volontiers quelques lacunes et des concisions qui peuvent vous laisser sur votre faim. Aussi je vous recommande la lecture de deux ouvrages de Hélène et Jean Michel Guilcher : « La tradition populaire de danse en Basse Bretagne » et « Histoire de la Contredanse », à l’exclusion de tout autre, vous comprendrez pourquoi plus loin.

 

                Ici, nous pouvons aborder le rôle des cercles et de leur répertoire dans cette évolution. Si quelques cercles celtiques ont vu le jour bien avant la deuxième guerre mondiale, en particulier à Paris, on peut dire que c’est l’après guerre qui a vu la prolifération des groupes, due à l’enthousiasme d’une bretonnité redécouverte. Et chacun de vouloir « promouvoir » la culture bretonne (c’est dans tous les statuts…). Des répertoires de danses, des livres d’enseignements rédigés pour les besoins de la cause, hâtivement bâclés parfois pour satisfaire l’urgence, bâtis sur les indications d’informateurs peu crédibles, remplis d’inventions dont le but était de justifier « l’incroyable » variété du folklore breton, ont été mis à la disposition des groupes. Beaucoup d’étudiants « parisiens », de retour au bercail, nantis de ces bibles insoupçonnables, ont créé leur propre groupe qui devinrent à leur tour les propagandistes convaincus de cette néo-tradition.

 

               Ainsi a-t-on vu évoluer de très jolies danses, dont l’enquête sérieuse n’a pu retrouver la moindre trace dans le milieu populaire. Nous n’en citerons que quelques unes pour illustrer notre propos : tout d’abord ce très gracieux « hanter dro de Crac’h » où le corps faisait un demi tour (pour justifier le nom de la danse), et où ralentissements et accélérations se succédaient : et puis la très célèbre ridée de Locmariaquer, qui se dansait partout sauf à Locmariaquer (à titre de renseignement sachez que ces deux danses ont été créées sur des airs d’en-dro) : et cette pénible danse des vieux, que les jeunes parodient encore lamentablement sur scène, sans se douter un seul instant que les anciens seraient capables de leur donner les meilleures leçons, etc.

 

               Et puis il y a eu les historiens en mal de littérature, nostalgiques d’une Bretagne mystérieuse, qui ont élucubré sur les danses du diable, ou la danse des glaives, ou les danses rituelles d’adoration solaire, quand ce n’était pas sur des restes de danses tribales… Non, la danse bretonne est une réalité sociale, rurale, sans autre prétention ésotérique…

 

                Il est évident que le groupe nouvellement créé, imbu de ces « vastes connaissances » servies sur un plateau, n’avait pas à rechercher autour de lui la vérité encore vivante. Ainsi a-t-on vu pendant quelques lustres, des groupes tout ignorer de leur tradition locale. Ainsi s’est créé, en maints endroits la rupture population-cercle au détriment de la pérennité de la danse populaire.

 

              Il a fallu attendre la parution de l’œuvre de Jean Michel Guilcher pour jeter, dès 1963, les bases d’une nouvelle politique en matière de recherche et d’enseignement de la danse bretonne. Il a fallu décanter, élaguer, supprimer dans l’ancien répertoire désormais acquis et assimilé. Il a fallu relancer des enquêtes pour apprendre et enseigner des danses qui étaient (enfin) celles du peuple.

 

              Et c’est pour cela que les groupes après avoir fait  la preuve de leurs connaissances en matière de danses traditionnelles, présenteront des suites scéniques, dont le large éventail transportera le spectateur dans un voyage aux quatre coins de la Bretagne (ou aux dix coins)… De la simple suite de danse à la présentation d’un thème dont la danse sert d’illustration, en passant par des arrangements scéniques fondés sur une géométrie mouvante, c’est ici une nouvelle forme d’expression bretonne que l’avenir jugera.

 

              En ce qui concerne l’avenir de la danse bretonne, vivante ici, malade là, il est très difficile de brosser un tableau exact de la danse bretonne actuellement. Mais, dans de très nombreuses régions, elle est morte et ne nous parvient qu’à l’état de rétrospective.

 

              L’observateur extérieur qui vient en Bretagne pourra s’étonner alors de la vitalité des festoù-noz ! Mais que peut signifier cette vitalité, cette recrudescence que les responsables n’ont pas su noyauter… Propension des jeunes vers un retour aux sources, phénomène d’actualité universellement constaté, dont ont su profiter les « marchands de soupe » en organisant bals bretons, et festoù-noz où la danse bretonne est ridiculisée piétinée… De plus, cette dégradation est accélérée par la présence de groupes vocaux ou musicaux, dont le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils ignorent tout de la danse bretonne.

Devrons nous demain limiter le répertoire breton à quelques danses fondamentales, vivantes et en assurer l’enseignement auprès de tous groupes humains (école, foyer des jeunes, maisons de la culture, etc.). Ou alors ne deviendra–telle qu’un spectacle comme le football où 22 000 sportifs en chambre applaudissent 22 comédiens professionnels. La danse bretonne étant, avec la langue, un des derniers supports de notre bretonnité, il serait bon d’y penser.

 

            Puisse-t-elle perdurer aussi longtemps que la Bretagne.

 

Georges Paugam - juin 1978.

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