Il est rare que le directeur artistique de Bleuniadur sorte de sa réserve pour évoquer des sujets d’ordre public. Je
souhaite pourtant le faire à propos de l’Ensemble Eostiged Ar Stangala de Kerfeunteun (Quimper) et plus précisément à propos de la vidéo qui circule sur internet, filmée lors de leur séjour en Corée.
Je vais évoquer et développer un problème que j’estime connaître. En tant que directeur artistique de l'Ensemble
Musique et Danse du CIOFF France, j’étais en effet à la tête de la délégation invitée aux Folkloriadas 2012 à Anseong (Corée du Sud) pour représenter et défendre les couleurs de la France.
C'était exactement à la même période (en octobre dernier), mais sur une durée plus longue que les Quimpérois.
Dans un premier temps, j’évacuerai le site internet qui diffuse
et se gausse ouvertement du groupe, car d’une part c’est dans sa nature de vilipender et de faire rire sur le dos d’autrui, d’autre part parce que cela arrange bien les affaires de certains
« cultureux » parisiens de se payer la tête des bouseux bretons. Cela n’a donc aucun intérêt et je ne développerai pas plus.
J'en viens donc aux critiques du « milieu breton », tout aussi bien pensant. Que n’entend-on pas au
sujet de cette vidéo : « guignols », « hurluberlus », « demeurés », « clowns », « pitres », et autres noms d’oiseaux. Chacun se permet d'avoir un
avis définitif et « autorisé » sur un sujet que, de Bretagne, il ne maîtrise pas.
Sans avoir fait l'Inalco, un séjour sur place permet d'apprendre deux ou trois
choses. La Corée est un espace culturel spécifique, très différent du Japon, de la Chine, des anciennes colonies françaises de la péninsule indochinoise, des Philippines ou de l'Indonésie, tous
pays proches les uns des autres vus d'ici. C’est une culture à la fois asiatique et occidentalisée, avec une mixité d’influences et de savoir-vivres qui décontenance un œil d’occidental comme le
nôtre. Dans ce contexte, la France jouit d’une aura incroyable et d’une vénération que l’on trouve rarement dans d’autres pays, et ce n’est pas faute, avec Bleuniadur, d'en avoir
visités.
Dans ce contexte social et culturel surprenant et mouvant, le rapport aux arts et à la culture traditionnelle n’a
absolument rien à voir avec notre propre rapport aux arts et aux traditions, en occident, et donc en Bretagne. Il faut d'abord savoir qu'en Corée du Sud, il y a un Ministère des Arts
Traditionnels et donc un Ministre des Arts Traditionnels, ce qui tranche grandement avec ce qui se fait chez nous. Ensuite il n’y a pas de rupture ou de classement spécifique entre la modernité
et la tradition ; il n’y a pas de frontières, de boîtes, d’étiquettes où l’on range les uns et les autres comme en France. Tradition et modernité forment un tout au niveau de l’Etat comme de
l’individu, et donc par extension dans les organisations de la vie courante dont les festivals font partie.
Enfin, il existe une immense fierté, dont nous n’imaginons pas la puissance dans notre région, d’appartenir à l’une
des cultures traditionnelles coréennes et d’être coréen. Aussi, le succès de la chanson « Gangnam Style » a, à l'heure actuelle, un impact dans le peuple coréen aussi puissant qu'un
phénomène tel que, par exemple, la Beatlemania dans la culture occidentale des années 1960. C’est la première fois dans l’histoire de la Corée qu’une chanson sort avec autant de succès des
frontières du pays et a un retentissement planétaire. Cela a engendré un véritable phénomène de société dont nous avons du mal à évaluer la puissance chez nous.
Alors Kerfeunteun dans tout cela, me direz vous ?
Les Eostiged ar Stangala de Kerfeunteun se sont rendu en Corée pour participer à un événement qui n’existe pas encore
chez nous car il s’agit d’un festival d’art traditionnels de rue. Il leur a été demandé, comme à tous les groupes présents sur ce festival, de réaliser une chorégraphie sur ladite « musique
nationale ». Cette demande a été également faites à l’ensemble des délégations officielles qui participaient aux Folkloriades mondiales du CIOFF à quelque centaines de kilomètres de là,
délégations qui se sont toutes plié à la demande, ballets amateurs ou professionnels. L'ensemble de Kerfeunteun s’est, à mon sens, intelligemment plié à cette demande, pas du tout déplacée dans
le contexte local, et l’a fait, me semble-t-il, avec talent, élégance, et dans l’esprit français non outrancier qui correspond à l’image de la France que se font les Coréens. Et j'ajouterais :
avec plus d’imagination que la délégation que je menais.
Alors, « Kerfeunteun ''obligé'' de faire le guignol » ? Oui, Kerfeunteun obligé, dans le sens où le groupe
a eu l’obligeance de respecter des mœurs, des coutumes et une culture différente ; obligé de ne pas faire perdre la face à des organisateurs ; obligé par rapport à un public en attente d’une
marque de respect et d’intérêt pour un puissant phénomène local de la part d’une nation considérée comme l’une des plus cultivées du monde. Oui « obligé » dans le sens noble et
intelligent du terme, obligé pour célébrer la fierté d'une population.
Alors je vous en prie, ne braillez pas avec ces gens qui donnent un avis sur tout, donnent des leçons de morale et de
talent à tout le monde. Je vous prie de bien vouloir considérer la proposition des Eostiged de Kerfeunteun en la remettant en perspective et dans son contexte. Vous verrez alors qu’ils ont fait
ce qu’il fallait, au moment où il le fallait et dans l’intérêt de la Bretagne et de sa culture ; même si cette dernière ne mérite pas d’être défendue par des personnes aussi obtuses que celles
qui déversent leur venin sur un ensemble qui compte parmi ceux qui ont des choses importantes à dire au niveau culturel et qui le disent bien. L'ensemble Eostiged ar Stangala a eu la bonne
réaction, la bonne attitude, la bonne proposition artistique et, le tout, au bon moment. Cela je puis vous l’assurer. A ce titre il mérite notre respect et notre considération.
Alain SALOU
Directeur Artistique de Bleuniadur
contact@bleuniadur.com