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15 février 2006 3 15 /02 /février /2006 12:13

Il faisait plutôt frais ce dimanche après midi dans la vaste église de Cléder au style gréco-byzanto-gothico-baroco-roman plus familièrement appelée « la grange » (par les mauvaises langues impies), architecture discutable mais pour l’occasion acoustique remarquable. Ils étaient là, les Kanerien dans leur nouveau costume, se détachant avec élégance en bleu outremer sur le fond gris perle du chœur. Ce fut le début du concert, un concert comme les autres, où l’on est venu autant pour faire plaisir aux choristes que pour le plaisir de l’audition, cela allait être bien, carré, solennel, comme d’habitude… Eh bien non !

 

Dès les premières mesures du « Bro Gozh », il se passa quelque chose ; les voix biens placées comme d’habitude mais un plus, indicible au début, quelque chose qui allait ressembler à de la perfection. Il est vrai que les Kanerien, à force de les entendre dans nos spectacles, on avait fini par ne plus les écouter vraiment. Le « Bro Gozh » commence solennel s’il en est, mais dégageant une ferveur, une union des voix, une qualité de l’écriture et de l’interprétation qui nous faisait revisiter ce chant à la fois tellement bateau et porteur de signifiance.

 

Le « Bro Gozh » s’achève et le chœur entame « Brehedig » puis « an Hini a garan ». Une véritable dentelle musicale, des arrangements ciselés, une trame toute en nuance, en camaïeux exprimant à la fois le bonheur, le doute, le chagrin, des émotions suggérées, dispensées avec parcimonie mais qui viennent à chaque fois raviver l’émotion de l’écoute et déferler dans une vague de sensations qui vous laisse avec la gorge sèche des bonheurs égoïstement éprouvés. La beauté, la musicalité et la simplicité de la ligne mélodique amplifient ce sentiment de bonheur simple, présent ou perdu, et ravivent chez le spectateur la nostalgie des moments passés avec les êtres aimés.

 

Les chants s’enchaînent ensuite, créant à chaque fois des univers différents ; mais ce qui frappe encore, c’est l’homogénéité, la justesse des voix, la pureté et l’efficacité des arrangements qui vont à l’essentiel, qui extraient des œuvres leurs substantifiques moelles et des choristes donnant le meilleur d’eux mêmes, la révélation d’un art partagé que peu d’entre eux soupçonnaient aussi puissant. C’était un plaisir de retrouver ces fondamentaux du chant breton revisité, pas interprété, mais vécu par la communion des chanteurs. On était loin ici des interprétations bredouillantes, annonantes de nombre de chœurs bretons qui ont tendance à transformer ce répertoire en marche pour suffragettes militantes. La perfection ou quelque chose qui s’en rapproche s’était invitée à ce concert, permettant au chœur d’exprimer une bretonnité aux milles facettes, mais toujours retenue, en finesse avec la pudeur et la force qui caractérise l’âme bretonne.

 

Dans la seconde partie de la prestation, le credo de la « Missa Armorica » fut une pièce d’une intensité rare. Ici, l’œuvre était donnée a cappella, permettant de découvrir toutes les subtilités de l’écriture et de l’interprétation. Cela était touchant du fait que l’œuvre exprime alors toute l’âme des petites gens, la ferveur contenue dans les mots "je crois". Ici pas de grandiloquence, non. Ce sont les mains nouées par la foi, le travail et les chagrins quotidiens, qui témoignent de la force de cet engagement qui fait que la vie devient alors supportable pour générer presque du bonheur. Défilent alors devant mes yeux cette image de femme en noir au cimetière tout proche, allongée sur les marches du calvaire, toute de douleur nouée, réclamant à Dieu des lendemains meilleurs et cette sérénité que l’on finit toujours par trouver.

 

Les angélus qui suivent viennent conforter cette impression. On est ici dans la dimension mystique du breton qui clame son éternité dans la simplicité de ses chants et l’assurance de son engagement.

 

Le concert prend ensuite plus d’ampleur et de solennités dans l’interprétation des hymnes gallois popularisés entre autre par l’Abbé Abjean. Ici, on retrouve la fougue des grand-messes et des pardons qui enflammaient les foules du siècle dernier. Le répertoire est étranger à la petite Bretagne, mais ici les chanteurs ont trouvé de quoi transcender et porter haut la culture de leurs aïeux, dans un siècle où, confusément, ils sentaient que leur monde ne serait désormais plus tout à fait comme avant, où l’être et le savoir-faire seraient remplacé par le paraître et le faire savoir.

 

Les Kanerien Sant Karanteg ont atteint une perfection qui fait honneur aux cultures de Bretagne. Cet ensemble a compris que la meilleure défense de la langue et de la culture bretonne passait par une qualité des voix, de l’écriture et de l’interprétation. Ici, on est dans l’art dans ce qu’il a de plus beau et de plus pur. Le militantisme est celui de l’émotion, de la perfection, ce qui est sans nul doute le meilleur moyen d’écrire une page dans l’éternité. Si vous avez cinq minutes, arrêtez-vous pour partager avec cet ensemble le bonheur simple du don et du dépassement de soi.

 

Alain Salou

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